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Lucifer Rising - billet de Mario Chabot

Lucifer’s Rising – Cinéma, musique et magie noire - texte du balado


Pour écouter Mario, c'est par ici.


J’ai toujours su que j’étais fait pour les histoires : en raconter, par écrit, en image, en son, mais aussi en écouter. Et j’ai un gros penchant pour la marge, l’insolite, le lugubre… Les artistes à qui on dit : « Ça ne se fait pas »… et qui le font quand même m’attirent beaucoup.


À l’université, j’étais inscrit à un cours sur le cinéma expérimental. Même si je trouvais les démarches artistiques souvent tirées par les cheveux et que le reste des étudiants était, bien souvent, d’affreux intellos* snobs qui étaient là plus pour étaler leurs connaissances et non pour apprendre, j’aimais bien le fait que des artistes dérangent l’ordre établi du cinéma de consommation.


On pourrait dire qu’il y a trois courants dans ce cinéma. Premièrement, le « délire visuel » qui pourrait se résumer à des expérimentations comme celles du photographe Américano-Français Man Ray… les expériences de perspectives, à la fois visuelles et sensorielles, de James Benning avec ses deux One Way Boogie Woogie (1977 - 2005) ou les visions distorsionnées, comme Scene From Under Childhood (1967 - 1970), supposé montrer une vision fœtale, de Stan Brakhage.

On peut considérer les films Empire (1964) et Sleep (1963) d’Andy Warhol comme faisant partie de cette catégorie.


Deuxièmement, le film avec une histoire (qui n’est pas toujours compréhensible), qui semble avoir un début et une fin, mais dont l’interprétation reste ouverte. Une grande œuvre de ce genre est Meshes of the Afternoon (1943) de Maya Deren. Il y a aussi La Jetée (1962) de Chris Marker. Quoique, dans ce dernier cas, l’histoire est très compréhensible; c’est le traitement qui est inhabituel. À une exception près (regardez le film et essayez de la trouver), il n’y a que des images fixes accompagnées d’une narration (un peu comme un diaporama de vacances en Floride, sans la narration de votre oncle saoul qui est sans cesse interrompue par votre tante qui parle plus fort que le son d’un Boeing 747 et avec des images plus intéressantes et plus belles que les nombreuses photos d’un motel rococo en banlieue de Miami). D’ailleurs, ce court métrage a influencé le réalisateur Terry Gilliam qui en a fait une adaptation, soit : 12 Monkeys (1995). Toujours au niveau «on se sert de la technique pour raconter quelque chose»: L’homme à la caméra (1929) de Dziga Vertov, un des premier film à se servir du montage pour faire autre chose que simplement coller des scènes les unes après les autres.


Finalement, il y a le film provocateur. Tout est mis en place pour créer un malaise chez le spectateur, pour choquer les bonnes mœurs. Bien souvent, autant les images que la musique se veulent une forme d’agression. Bel exemple de cette combinaison : The Petrified Dog (1948) de Sydney Peterson ou Wavelength (1967) du Canadien Michael Snow qui met notre attention à rude épreuve avec un long et (très) lent zoom avant de 43 minutes . Évidemment, on traite de sujets sensibles comme l’homosexualité (à l’époque) avec Un chant d’amour (1950) de Jean Genet, la mort (évidemment) avec Le sang d’un poète (1932) de Jean Cocteau (je n’ai pas trouvé un lien sur le film complet, voici la bande annonce) ou la religion et la bourgeoisie avec Un chien Andalou (1929) ou L’âge d’or (1930) de Luis Bunuel,


C’est à cette catégorie qu’appartient le film dont je vais vous entretenir (hé oui, tout ce que vous avez lu jusqu’à maintenant n’était qu’une introduction).


Lucifer’s Rising est probablement l’œuvre la plus connue de Kenneth Anger, réalisateur polémiste et passionné de magie noire. D’ailleurs, Anger était un « fan » fini du célèbre occultiste britannique Aleister Crowley et c’est dans un magasin d’articles de magie avec une grande section d’artefacts sur ce dernier que Kenneth Anger rencontrera un autre aficionados du mystérieux créateur de plusieurs cultes, Jimmy Page, charismatique guitariste de Led Zeppelin. Les deux hommes se lieront d’amitié au point où Page invitera Anger dans une de ses résidence et non la moindre : Boleskine House, aux abords du Loch Ness en Écosse, une maison qui a déjà appartenu à Aleister Crowley. Les deux artistes renommés dans leur discipline respective partagent tellement de points en commun que Kenneth Anger demandera à Jimmy Page de composer et d’interpréter la musique du film qu’il a tourné il y a quelque temps : Lucifer’s Rising. Page accepte et tout semble aller sur des roulettes.


Une fois rentré aux États Unis, Anger va attendre très longtemps la trame musicale de son film. Il s’impatiente et talonne le guitariste britannique. Mais Led Zeppelin travaille sur divers projets et tourne énormément. Ce qui fait que Page se voit dans l’impossibilité de terminer la musique. Il envoie à Anger ce qu’il a et lui dit qu’il ne peut pas faire plus. Furieux, le réalisateur se tournera vers quelqu’un d’autre pour signer et enregistrer la musique et, lors de la sortie du film, il jettera un sort sur Jimmy Page et Led Zeppelin, en public.


Durant les années qui suivent, Robert Plant, chanteur du quatuor anglais perdra son plus jeune fils, victime d’une maladie subite. Et le batteur, John Bonham, mourra dans une chambre d’hôtel suite à une intoxication d’alcool. Vous et moi savons tous que, chaque jours, des enfants meurent d’une maladie subite et que, lorsqu’on boit 40 oz de vodka et qu’on tombe sur le dos, il est plausible qu’on s’étouffe avec son propre vomi. Mais les conspirationnistes de tout acabit y verront des preuves tangibles du sort que Kenneth Anger a jeté sur le groupe. Certains iront même jusqu’à dire que c’est la faute de Page et qu’il est le seul à avoir été épargné (John Paul John, bassiste et multi-instrumentiste de Led Zeppelin n’a rien eu, mais c’est un détail que les amateurs d’histoires d’horreur préfèrent passer sous silence).


Malgré l’énormité de la situation, le côté abject de l’histoire ne s’arrête pas là, bien au contraire, il ne fait que commencer.


La musique sera confiée à Bobby Beausoleil, jeune artiste multidisciplinaire : musicien, acteur, artiste visuel (son nom francophone lui vient de son père, laitier québécois ou franco-canadien, les origines canadiennes du père ne sont pas claires). En plus, Beausoleil joue le rôle de Lucifer dans le film de Kenneth Anger. Après le tournage, sa voiture tombe en panne et les habitants d’un ranch à proximité le sortiront du pétrin. Il décide même de s’installer avec eux. Le hic, c’est que les gens de ce ranch ne sont nuls autres que les membres de la désormais célèbre famille Manson (plus précisément, les disciples de Charles Manson). Bobby en viendra à adopter les théories extrémistes du charismatique gourou et prendra part aux massacres à la résidence de l’actrice Sharon Tate (enceinte de huit mois de son conjoint Roman Polanski, absent lors de cette soirée) et du couple LaBianca.


Tout comme son maître à penser Charles Manson, Bobby Beausoleil sera condamné à mort en 1970 pour les neuf meurtres perpétrés par la famille Manson en plus d’un autre, celui d’un ancien ami, Gary Hinman. Lorsque l’État de la Californie décide d’abolir la peine de mort, sa sentence sera commuée en peine de prison à perpétuité. Malgré tout, Kenneth Anger désire confier la musique de son film à Bobby. Grâce à l’intervention d’un réputé professeur de musique et à l’investissement de 3 000 dollars provenant du budget que Anger avait prévu pour la musique de son film, la prison où il est incarcéré lui fournira un local il pourra acheter du matériel et des instruments pour enregistrer. Le fait que la musique ne soit pas signée par Jimmy Page privait Kenneth Anger d’un coup publicitaire (quoique son sort au groupe a réussi à aller chercher un public conspirationniste), mais le fait d’avoir une bande sonore enregistré3 en prison par un musicien issu du clan Manson fut tout aussi fumant.


Mais, la musique, de quoi est-ce qu’elle a l’air? Disons tout de suite les choses comme elles sont : Beausoleil était un musicien inexpérimenté et cela se reflète dans son travail. Et le fait qu’il se soit entourés de musiciens prisonniers comme lui donne un résultat un peu trop « groupe qui pratique dans le sous-sol ». Ceci étant dit, le résultat reste très agréable.


Ironiquement, on peut trouver sur YouTube une version du film avec la musique inachevée de Jimmy Page. En entendant le résultat, on sent la signature du musicien qui a travaillé en solo, mais qui est rompu aux techniques d’enregistrement. De plus, il utilise un jeu de guitare qu’il affectionnait particulièrement en spectacle, soit utiliser un archet et des pédales d’effets. Évidemment, le travail n’étant pas définitif, le résultat est un peu minimaliste


Il existe aussi une version un peu plus moderne de la musique signée par un musicien/DJ brésilien du nom de Acqua Lazuli. Au début du film, il s’amuse en se servant de vieux sons de synthétiseur typiques des années 70. Mais plus le film avance, plus son côté techno apparaît, principalement en raison des rythmes programmés.


Je ne sais pas s’il existe un film sur le film (genre de making of sur l’acide avec beaucoup de sang), mais on peut espérer que Kenneth Anger en fasse un. Hé oui, il est encore en vie et, malgré ses 95 ans, il semble tout aussi disjoncté qu’à l’époque.


* La différence entre un intellectuel et un intello est bien simple : l’intellectuel pense alors que l’intello pense penser.




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